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Rufin Zomahoun : L’empereur béninois au Japon









Il est sans doute le Béninois le plus connu au pays du Soleil levant mais il reste très préoccupé par le développement de sa mère patrie, le Bénin. Rufin Zomahoun, premier sinologue noir d'Afrique subsaharienne et Conseiller spécial du Chef de l'Etat pour l'Asie et l'Océanie, s'investit activement dans les œuvres communautaires. A la découverte du petit empereur béninois du Japon…



Dans la salle de séjour de l'appartement servant à l'hébergement des visiteurs de la Fondation Ifè, un poste téléviseur diffuse un film sur la culture japonaise, l'art culinaire nippon en l'occurrence. En cet après-midi du vendredi 20 mars, l'heure est à l'accalmie mais il grouille de monde dans le vestibule du bâtiment central de cette organisation qui abrite également depuis le 1er septembre 2003 l'école de langue japonaise, première et unique expérience en Afrique. L'attente pour certains, dure depuis des heures. Rencontrer Rufin Zomahoun c'est l'objet de leur déplacement dans l'antre du faire-valoir de l'état d'esprit japonais.
Le pouvoir attractif qu'exerce le premier sinologue noir d'Afrique subsaharienne sur ses concitoyens est inébranlable et sa disponibilité à se mettre à leur service malgré le succès qu'il a au Japon surprend. L'homme au regard de lutin est assez affable et son sourire enchante tous ses interlocuteurs. Que vous l'aimez ou pas, son accueil vous laisse vacillant et vous conquiert en un tour d'échanges.

L'histoire de Rufin Zomahoun s'apparente bien à un conte de fée.

Issu d'une famille pauvre, il a été recueilli par un oncle, après ses études primaires à Dassa-Zoumè, à une centaine de kilomètres de Cotonou. « Je suis un ancien Vidomégon (enfant placé) », se plaît-il à dire. Mais cette forme de placement où l'enfant était réduit en esclave est bien révolue. Mettre un enfant chez un parent ou une connaissance à l'époque, était une façon de lui garantir des chances de réussir dans la vie. Chez son oncle, feu Sylvestre Zomahoun, ancien journaliste de l'Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB), il avait de quoi vivre mais manquait de tout. « Mon oncle n'avait pas les moyens mais on mangeait chichement à la maison. Je n'ai jamais eu d'argent de poche. Personne ne m'a jamais acheté de cahier dans ma vie », se rappelle-t-il.
La précarité dans laquelle il végétait le contraint à rester à la maison pendant six mois après son baccalauréat. Pour 3500 F Cfa il rate le concours d'entrée à l'école normale pour se garantir plus tard un emploi d'enseignant dans la fonction publique. Un coup dur pour celui dont la détermination à rompre avec les chaînes de la misère et de la pauvreté est plus que probante. Son inscription au département de linguistique n'était qu'un pis-aller puisque le 6 septembre 1987, il s'envole pour la Chine après avoir bénéficié d'une bourse. « C'était le début de la grâce divine. J'étais très heureux ». Là-bas il s'adonne à tous les métiers à ses heures perdues. Du jardinier, au chauffeur en passant par l'interprète, Rufin Zomahoun s'est affiché comme un battant qui ne voulait nullement se contenter de sa maigre bourse d'étudiant.

Un bâtisseur est né

Au terme de privations et de sacrifices il réussit à faire une économie de trois millions de francs Cfa et à décrocher au bout de quatre ans d'études, sa maîtrise et à faire sa première thèse de doctorat en juin 1993. Il devient le premier sinologue noir d'Afrique subsaharienne en s'imposant comme major de sa promotion avec 96 points sur 100. Avec seulement 350 dollars en poche, il immigre au Japon sur proposition d'un de ses camarades. Pour faire face au coût astronomique de sa formation (9 millions de francs Cfa), il s'est vu obligé de travailler à l'usine du père du camarade qui l'a fait venir au Japon. Pendant quatre années, c'est la vraie galère de l'étudiant béninois au Japon. Il lui a fallu apprendre le japonais dont il ne comprenait pas un mot. Il se tape également trois petits boulots par jours pour tenir le coup. Dès qu'il sort de chez lui à 9 heures du matin, il n'y revient que vers 4 heures du matin. « J'ai vécu pire que ce que je vivais au Bénin avant d'obtenir la bourse pour la Chine», se souvient-il. Il s'inscrit par la suite à Sophia University, l'un des plus prestigieux instituts de formation supérieure du pays appartenant aux Jésuites, au niveau du département de sociologie. Il s'en sort brillamment en obtenant sa deuxième thèse de doctorat. Ses travaux de recherche l'amènent à s'intéresser au système éducatif de base de son pays natal. Il constate que contrairement au Japon ou à la Chine où l'éducation et la formation sont en adéquation avec l'emploi, le Bénin accuse un grand retard. C'est là que naît son engagement à investir dans l'humain.
La chance lui est donnée de réaliser son vœu le plus cher au monde quand en 1998 il participe à un casting pour l'animation d'émissions à la télévision. Sur 21.000 candidats il fait partie des cent étrangers à se distinguer. En avril 1998, il fait sa première rentrée télévisuelle. S'enchaînent alors les succès. L'audimat de la chaîne de télévision bat tous les records. Le ''bout d'homme'' devient l'un des hommes les plus en vue au Japon. Sa sortie déclenche l'émeute. C'est absurde et incroyable ce que vit ce jeune homme aujourd'hui âgé de 45 ans. En 1998 il gagne le jackpot en se faisant payer la faramineuse somme de 50 millions de francs Cfa pour ses shows télévisuels à succès. Comble de surprise, il annonce devant les caméras son désir de faire connaître l'Afrique, continent dont l'image est injustement rattachée à la famine, à la guerre, à la misère. Il s'agit pour lui de financer les voyages de découverte de l'Afrique aux journalistes nippons, avec les honoraires de ses émissions. « C'était la grande surprise. Les Japonais n'en revenaient pas. Je n'étais pas payé par un Etat pour faire ça mais je tenais à montrer une Afrique juste, ambitieuse », indique-t-il.
Au bout du périple les journalistes japonais étaient grandement surpris de constater qu'en Afrique on pouvait circuler librement sans être inquiété.
A la suite de cette mission, un livre intitulé ''Le Japon vu par Zomahoun'' est publié. En deux semaines c'est le livre le plus vendu au pays du soleil levant. Un best-seller dont il tire comme royalties 215 millions de francs Cfa. Il offre dans la foulée 100 millions aux Nations Unies pour des actions de bienfaisance. L'autre partie est utilisée pour construire des écoles dans les régions où des enfants parcourent plus de 9 km pour bénéficier chaque jour du savoir. C'est ainsi que des localités comme Tchitchakou dans l'Atacora, Kika et Korobororou dans le Borgou/Alibori, Bétékoukou, Koro, Ainori, Tourou, Barka, Sèmèrè, Lalo, ont bénéficié d'infrastructures scolaires. En moins de trois mois, treize salles de classe entièrement équipées en tables et bancs sont construites. A ceci s'ajoutent des forages de puits dans des localités telles que Otcha.
Il organise des missions d'enseignement de volontaires japonais à la Fondation Ifè où de nombreux Béninois apprennent gratuitement à connaître la civilisation nipponne et à parler Japonais. « La Fondation Ifè enseigne aux jeunes Béninois les valeurs intrinsèques de la culture japonaise. Ces valeurs reposent sur le patriotisme, le partage et le sacrifice. Il faut que les Béninois prennent exemple sur un pays comme le Japon qui sans disposer d'aucune matière première est devenue la première puissance technologique au monde », précise-t-il.
Grace à celui que les Japonais qualifient de ''petite bombe'', le Bénin a vu fouler son sol de nombreux investisseurs japonais dont le cinéaste Takéshi Kitano et Tanaka Yoshitaka, l'un des plus grands fermiers du Japon. Aussi faut-il noter l'augmentation du flux de touristes japonais à visiter l'Afrique. A travers ses opérations de charme, le volume de l'aide publique au développement du Japon en Afrique, a également augmenté.
Après avoir œuvré pour l'ouverture d'un consulat honoraire du Bénin au Japon et d'une ambassade à Tokyo en 2002, il est à l'actif de l'ouverture de l'ambassade du Japon au Bénin. Le dynamisme de Rufin Zomahoun séduit l'Etat béninois qui le fait Chevalier de l'Ordre national du mérite. Mathieu Kérékou en fait en 2004 son conseiller spécial pour l'Asie et l'Océanie. Un mérite qui lui sera également reconnu par le Président Boni Yayi.
Professeur à l'université de Tokyo, il a dû ranger ses fiches pédagogiques pour s'adonner aux conférences publiques qui l'ont par ailleurs révélé au monde entier. Ses conférences sont facturées à 3000 dollars américains l'heure. Un gain qu'il met au service des pauvres, avec le concours de nombreux partenaires japonais. La confiance dont il jouit de la part des Japonais est fort étonnante.
Le gouverneur de l'Etat Tokyo l'a reconnu en 2008 comme l'un des étrangers ayant payé le plus d'impôts sur ses revenus. A seulement 45 ans, Rufin Zomahoun a encore toute la vie devant lui et il est à parier qu'il n'a pas fini de surprendre les Béninois.

Par Kokouvi EKLOU


26/09/2009
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