Sud Conseil Nord

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Judith Houédjissin, candidate aux dernières élections municipales à Montréal au Canada :



À 29 ans, Judith Houedjissin, béninoise d’origine, a brigué un poste de Conseillère de Ville à Montréal là où beaucoup d’Africains et même de Montréalaises hésitent à s’aventurer. Mme Houedjissin est diplômée de deux universités canadiennes en Science politique/Relations internationales et en Management public. Elle a aussi une expérience doctorale en sciences politiques. Elle est auteure, communicatrice politique, chercheure et femme de terrain.

D’entrée de jeu, j’ai envie de vous demander si vous êtes une Béninoise ou une Canadienne ?

Merci M. le journaliste de l’intérêt que vous portez à l’action citoyenne et de l’honneur que vous me faites en me permettant de m’exprimer dans cet espace public qui est votre journal. Mon nom de famille de naissance ne pourra jamais me trahir, je suis Béninoise de naissance et Québécoise d’adoption. Je suis née au Bénin d’un père politicien que vous connaissez certainement, Maxime Houedjissin et d’une mère Edwige Affognitodé, dévouée à ses enfants. Alors, je me sens aussi bien Québécoise que Béninoise. Par ailleurs, je suis les deux non pas seulement parce que j’ai une double nationalité, mais aussi parce que je chéris profondément dans mon cœur les deux pays aussi différents soient-ils et que j’ai adopté la culture québécoise sans difficulté. Au Québec, je me sens chez moi et sur mon territoire, au Bénin, je me sens aussi chez moi et je m’adapte, malgré les différences de cultures entre les deux pays. Exemple : au Bénin, le droit d’aînesse et le culte de l’autorité prennent le dessus sur la volonté de partage intergénérationnelle contrairement au Québec où le désir de laisser place à une jeunesse dynamique, de reconnaitre sa maturité et ses acquis priment sur la volonté de la soumettre à la décision de l’aîné ou de l’autorité. Disons qu’au Québec, le jeune est reconnu pour sa capacité novatrice, son dynamisme et pour ce qu’il peut apporter non seulement à sa génération, mais aussi aux générations antérieures et ça me convient beaucoup. Mais c’est cela la diversité, être capable de mélanger les cultures et de tirer le meilleur de chacune d’elle mais aussi de savoir en laisser. Alors si votre question est de savoir si j’ai rejeté mon pays de naissance le Bénin, je vous dirai non au contraire, je suis fière de clamer que je suis Béninoise d’origine et je l’assume très bien même si les choses ne sont pas toujours faciles pour un Africain vivant en Occident.

Comment êtes vous venue à l’idée de vous présenter pour des élections municipales alors que généralement, nous qui sommes en Afrique entendons dire qu’il n’y a pas de place pour les Africains ou les Noirs dans certains milieux de prestige comme la politique ?

Vous savez qu’à peu près partout en Occident, c’est vrai que l’immigration africaine n’est pas bien accueillie pour prendre l’exemple de ce qui se passe en France où des Africains dits « sans-papiers » sont arrêtés comme des criminels et retournés en Afrique.

Contrairement à ces atrocités, je peux dire qu’au Québec, les choses sont un peu différentes. La plupart des Québécois dits de « souche » ne sont pas vraiment habitués aux Africains surtout à l’extérieur de Montréal. Il y a quelques années encore, tous les Noirs du Québec étaient pris systématiquement pour des Haïtiens, les gens venus d’Haïti, car l’immigration haïtienne est plus vieille et date de plusieurs générations contrairement à l’immigration africaine. Donc, il fallait expliquer que ce n’est pas parce qu’on est Noir qu’on est Haïtien, mais qu’il y a l’Afrique aussi, un continent, non pas un pays, qui contient des personnes noires. Cette ignorance qui se transforme en peur de l’autre et de l’inconnu demeure toujours d’actualité d’ailleurs ici. Sur le plan politique, je peux dire de mémoire, que je suis la première Africaine d’origine béninoise et une des rares femmes africaines, à m’être présentée à une élection au Québec. Nous avons un député africain originaire du Cameroun, mais l’implication politique des Africains au Québec n’est pas chose courante, et ceci, pour plusieurs raisons.

Lorsque bon nombre d’Africains immigrent au Canada ou au Québec, leur but premier c’est de travailler ou d’étudier. Généralement, il y en a qui viennent avec leur famille et il faut vivre ou survivre et envoyer de l’argent en Afrique à la famille élargie. Donc leur préoccupation n’est pas de s’impliquer dans la vie sociopolitique du pays d’accueil. Ce qui est à mon avis une grosse erreur. Car, il me semble que lorsqu’on décide d’immigrer volontairement dans un pays c’est parce qu’on pense que ce pays correspond à nos attentes et qu’on va y trouver son compte. L’autre raison aussi, c’est qu’à force de se heurter aux refus des employeurs de les embaucher pour des emplois dignes et respectables, certains Africains se résignent et se soumettent à une vie qui n’a aucun sens, une vie au rabais qui est contraire à ce qu’ils avaient envisagé en immigrant. C’est ainsi que des Africains très courageux, des intellectuels hautement diplômés et qualifiés d’Afrique travaillent, par exemple, dans les usines voir des champs pour la cueillette de fruits et légumes. Tragédie !

Si je suis allée en politique au Québec c’est, entre autres, pour freiner ce genre de tragédie, c’est pour dire que tous devraient avoir droit à une vie équitable et digne. Mais malheureusement, la solidarité c’est ce qu’il y a de moins fort parmi les immigrants africains. Personnellement, j’ai traversé une campagne électorale seule sans soutien d’aucune association africaine à Montréal, bien que ce ne soit pas mon ouverture à cet effet qui était manquante. J’ai rencontré des membres de rares associations africaines dont j’avais connaissance dont des Béninois, mais la réponse qu’on me donnait souvent était qu’« on n’était pas là pour s’impliquer dans la vie politique du Québec, nous n’en tirerons rien et notre but c’est de retourner diriger notre pays ». C’est très regrettable, car la force d’une communauté c’est la solidarité et on le voit au Québec et au Canada avec les autres communautés qui se soutiennent très fortement et qui arrivent à influencer leur destin au plan professionnel, économique et social. Les politiciens le savent et si les gens n’ont généralement pas grand respect pour les Africains c’est, entre autres, parce qu’on sait qu’ils ne sont pas solidaires, qu’ils sont dispersés et déchirés entre eux, chacun se cherchant pour lui-même et que surtout ils n’ont aucun poids économique.

À un moment donné, il faut savoir être responsable et assumer ses gestes. Non seulement la majorité des Africains ne suivent pas de près la politique nationale dans leur pays d’accueil, mais en plus, la majorité de ceux qui sont citoyens ne votent même pas. Alors quelle considération peut-on espérer avoir ? Et ce fait se répercute jusqu’en Afrique, car lorsque la communauté immigrante est forte, ça change les donnes au plan diplomatique et politique.

Personnellement, après près de dix ans de vie au Québec où je me suis parfaitement intégrée à plusieurs niveaux, je me sentais prête et capable d’assumer certaines responsabilités politiques. J’avais suivi de près la politique nationale et pour moi il était temps d’entrer en action. J’ai reçu des encouragements de mon entourage et surtout de deux hommes politiques du Québec qui m’ont fait confiance. Mon désir de changer la vie des gens et de les aider à résoudre des problèmes complexes de la société, devrait se transformer en action. De plus, j’avais toujours voulu faire de la politique et ce n’était pas parce que je vis au Québec que je devais abandonner cette vocation. Toute jeune, je suivais mon père, anciennement maire de la commune, dans son lieu de travail à la mairie et j’observais comment il travaillait avec son équipe et comment il répondait de façon efficace aux besoins des citoyens. Plus tard, lorsqu’il est devenu député, j’avais presque fait de l’Assemblée nationale mon deuxième lieu de travail après le collège. Si je ne suivais pas mon père pour assister aux débats dans la chambre des députés, je venais avec des journalistes pour effectuer des entrevues. J’aimais cette vie-là, cette vie d’apprentie politicienne et de journaliste. Je voulais comprendre les mécanismes qui sous-tendaient la communication politique et j’aspirais à devenir une femme politique aguerrie et avertie. Donc l’envie était là depuis longtemps, la volonté était incontestablement présente, il fallait cependant une opportunité et le bon moment.

Cependant, il ne faut pas se mentir, en entrant en politique au Québec, je savais que les choses ne seraient pas faciles, je savais qu’en tant qu’Africaine et personne noire, je ne serais pas automatiquement acclamée et que ma présence serait dérangeante dans certains milieux. Il y a en qui disent carrément que le Noir, l’Africain vivant en Occident n’a pas sa place dans ces lieux de pouvoir. Mais je dis fortement oui, car il n’y a pas meilleur connaisseur d’un problème que la personne qui le vit elle-même. Si nous ne sommes pas dans les coulisses des centres de décision, nous subirons des décisions qui ne sont pas toujours inclusives. Je ne voulais pas non plus être la représentante des ethnies ou des Africains, je voulais être la candidate et la représentante politique de tous les Montréalais et j’ai été à la hauteur de ce défi. J’ai travaillé fort, pendant quatre mois j’ai parcouru à pied presque toutes les rues de mon arrondissement à convaincre les citoyens de ma capacité de prendre des décisions soutenues, que ma formation politique était la voie du changement. Que le programme proposé par mon parti était le meilleur et que mon parti était celui-là qui répondait le mieux à leurs besoins. J’ai participé à de nombreux débats où les citoyens me posaient directement des questions, mon équipe et moi avions fait une campagne sans grand moyen financier ni ressources humaines. Nous l’avons fait, car nous croyons au changement et aux solutions proposées par notre parti. Je peux dire que je suis très fière de cette expérience que les hommes, les femmes africaines hésitent encore à faire. Bien que j’aie perdu les élections, je suis sortie gagnante car ce que j’ai fait ouvrira la porte à d’autres Africaines et Africains au sein des partis politiques québécois et montréalais. Ils ne seront plus de simples observateurs de dernier rang de la vie politique, mais ils peuvent espérer être des acteurs réels.

Toutefois, ce parcours politique très sérieux n’est pas un jeu d’enfant ni une décision à prendre à la légère. Il faut le faire en toute connaissance de cause, car les déceptions peuvent être grandes et les cicatrices indélébiles si on n’y prend pas garde. Pour ma part, je peux vous garantir que ma vie sur la scène politique ne fait que commencer.

Mme Houédjissin, vous avez donné beaucoup de vous et de votre temps au Québec à différents niveaux, vous êtes une jeune femme dynamique, une femme de l’ombre, mais qui n’hésite pas à oser et à se fixer la barre très haute, une politologue, une communicatrice douée, une écrivaine et une femme de terrain. Par ailleurs, nous savons que vous avez écrit un ouvrage sur les réformes administratives et la bonne gouvernance au Bénin. Vous venez aussi de terminer un autre manuscrit sur l’intégration des immigrants au Québec et au Canada, l’influence des médias occidentaux sur l’image négative de l’être humain noir. Peut-on dire que vous êtes à la quête d’une réconciliation entre les nations qui doit passer par le respect des droits humains ?

Je suis une adepte de la dignité humaine, un apôtre du respect véritable des droits de l’Homme, non pas au sens hypocrite du terme, mais au sens réel. Je suis choquée lorsqu’on me parle de respect des droits de l’homme alors que la pauvreté évolue, je trouve insultant qu’on me parle de respect des droits humains alors que l’injustice sociale explose et que des humains manquent de ressources naturelles vitales comme l’eau, je trouve ridicule qu’on me parle de droits humains alors qu’il y a des gens qui n’ont pas un toit salubre et qui n’ont pas un emploi minimum pour subvenir aux besoins de base. Je trouve terrifiant qu’on me parle de droits humains alors que des femmes continuent de subir la violence conjugale et que des enfants meurent de faim. La vie ce n’est pas ça, la vie ce ne devrait pas être cela. Il faut que les humains reviennent à la notion de solidarité et de partage équitable des ressources. Au XXIe siècle, on ne devrait plus être en train de parler de racisme, de discrimination sous toutes ses formes, de pauvreté. On devrait être déjà passé à autre chose et le jour où les gouvernements du monde où qu’ils se trouvent et quelques soient leurs composantes, comprendront que leur rôle n’est pas de s’enrichir et d’enrichir des réseaux mafieux occultes, mais de servir les citoyens, ce sera le début de tout changement.

Pour finir, je vois que vous êtes une femme qui ose dénoncer les tares, qui n’a pas la langue dans la poche et qui ose avancer là où plusieurs reculent. J’ai envie de vous demander si vous serez prête à revenir au Bénin travailler pour le bien-être des populations béninoises ?

Comme je le disais au début de l’entretien, je suis une Bénino-Canadienne. Je suis quelqu’un de direct, très autonome, je ne suis pas une personne soumise et j’aime ma liberté d’expression. Je n’aime pas me faire dicter quoi faire ou quoi dire, si j’ai pu parvenir à accéder au rang de la politique municipale au Québec, c’est parce que des personnes qualifiées ont remarqué que j’étais capable de prendre des décisions et de les assumer, je suis capable de parler aux citoyens, j’ai du leadership et je suis excellente communicatrice alors, je me vois mal m’enfermer dans des gouvernements où c’est le chef qui décide de tout. Mon choix de partir d’ici a été fait sur cette base de la liberté d’expression et de la démocratie participative.

Alors, je ne sais pas si les gens sont prêts à m’accepter tel quel au Bénin. Je veux bien servir mon pays de naissance, mais je ne veux pas être contrainte de prendre des décisions qui iront à l’encontre des citoyens. L’élu, pour moi, c’est celui-là qui est au service et à l’écoute de tous les citoyens et non pas au service d’une clientèle qui l’a mise au pouvoir. Je refuse de jouer des jeux qui ne me ressemblent pas. Je dirai oui à tout gouvernement honnête, non corrompu et intègre qui me fera appel. Si j’ai brigué l’Hôtel de Ville de Montréal et que je suis prête à reprendre l’expérience, je ne vois pas comment dire non à une offre de service qui concernerait les citoyens du Bénin. Mais entendons-nous bien, je ne serai pas la jeune femme de l’équipe qui fait la volonté du chef ou des autres, je ne serai pas non plus objet de décor, je serai celle-là qui suit une ligne de parti, mais qui agit pour le bien des populations. Alors oui je serai prête à servir le Bénin, mais à ces conditions là.

Propos recueillis par : Barnabé HOUNKANRIN



12/11/2009
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